Quand j’ai vu passer cette nouvelle édition de À table en Nouvelle-France, de Yvon Desloges avec la collaboration de Michel P. de Courval, j’ai tout de suite pensé à « autosuffisance » au Québec. C’est un sujet qui me fascine depuis longtemps et dont je vous ai d’ailleurs parlé quelques fois (ici, ici et ici, entre autres).
D’accord, cet ouvrage n’est pas un guide d’autosuffisance, mais plutôt une histoire de découvertes alimentaires et d’échanges. Échanges entre autochtones et européens, entre la ville et la campagne, entre la colonie et l’Europe, entre les Anglais et les Français, etc. Néanmoins, il est possible d’y tirer d’utiles renseignements, comme par exemple les sources d’alimentation des Autochtones et des premiers arrivants européens durant cette période.
Près de 200 ans de changements
À table en Nouvelle-France, comme son titre l’indique, couvre la période d’occupation française, du moment où les colons s’établissent dans le territoire, en 1608, et jusqu’en 1791. On pourrait penser que cette période a été choisie notamment parce que plusieurs écrits en français en témoignent et permettent de recréer une histoire détaillée.
En effet, les premiers explorateurs européens ont pris beaucoup de notes sur les Premières Nations, incluant sur leurs habitudes alimentaires. Le premier chapitre couvre ce sujet. L’ouvrage ratisse ensuite les recoins des garde-mangers, décrivant les aliments découverts grâce aux Autochtones (comme le maïs), les denrées importées d’Europe ou des Antilles, les aliments cultivés dans les potagers, les modes alimentaires suivies, les achats et échanges faits au marché et, finalement, le développement de la gastronomie.
Il est à noter que le focus est définitivement eurocentrique. Même le chapitre « Manger à la mode autochtone » est inspiré majoritairement des descriptions des explorateurs européens. On pourrait pu souhaiter que davantage de sources autochtones soient incluses, mais je ne doute pas qu’elles soient moins courantes, puisque ces populations avaient plutôt, surtout à cette époque, des traditions orales et non écrites.
Beaucoup de surprises nous attendent dans ce bel ouvrage, abondamment illustré. Sans tout vous dévoiler, voici quelques faits qui m’ont surprise, question de piquer votre curiosité!
Pas tant de légumes que ça
Les derniers régimes à la mode nous parlent beaucoup de manger comme les ancêtres lointains, soit des aliments non transformés. Une chose est sûre : les Autochtones consommaient beaucoup de maïs, de courges, de poissons, de viandes et de graisses, mais somme toute peu de légumes. Les courges et le maïs étaient certes au menu, mais ces derniers contiennent beaucoup de glucides, alors que les haricots servaient plutôt de légumineuses, selon les écrits français.
Autrement dit, la cueillette dans la vallée du Saint-Laurent semblait surtout se limiter aux petits fruits de saison. Dans les témoignages européens recensés, on ne parle pas (ou très peu) de légumes feuilles, comme les pousses printanières par exemple, riches en vitamines, qu’un livre comme Forêt explore en détails.
Le garde-manger de base du colon français en milieu rural
Il faut attendre les potagers pour que la quantité de légumes augmentent dans les assiettes. Pain, produits de l’élevage (principalement bovins et porcs), produits de la pêche et légumes du jardin résument à peu près ce que l’on trouve chez l’habitant canadien, sans grande surprise.
Le porc est surtout élevé pour son gras, alors qu’on mange davantage la viande des bovins, parfois faute de fourrage pour l’hiver. De même, le lait et les œufs ne sont pas aussi disponibles qu’on se l’imagine, surtout pas l’hiver. Finalement, une ration de pain jugée suffisante est d’environ 800g, soit presque deux livres! Impensable aujourd’hui!
Chasse et pêche
En Nouvelle-France, la chasse n’est pas une activité courante pour les colons. D’abord, les gens ont peu de fusils, mais surtout, ils ont peu de temps pour cette activité qui, chez les Européens, est considérée comme un luxe, un loisir. Pour cette raison (et bien d’autres), elle est surtout l’apanage des nobles. En bref, les premiers colons dépendent très peu de la faune locale, ce qui m’a étonnée. L’exception est la tourte, qui était très facile à attraper et on sait ce qui lui est arrivé…
Par contre, ce maigre apport contraste grandement avec l’importance de la pêche, principalement à cause de la religion. Le calendrier liturgique prescrivait du poisson au lieu de la viande deux jours par semaine. Le fleuve et les rivières permettaient aux gens un grand accès à cette ressource abondante. Certaines de ces espèces, comme l’anguille, ne sont plus dans les eaux fluviales aujourd’hui.
Potagers
Du côté des légumes, le maïs, après avoir servi aux premiers arrivants, est complètement mis de côté pendant plusieurs décennies. Les potagers contiennent surtout des légumes qu’on voit encore aujourd’hui : oignons, choux, pois, fèves et haricots, laitue et concombre. Les potagers plus fancy contiennent aussi asperges, poireaux, céleri, choux-fleurs, oignons verts, betteraves, carottes, navets, radis (rouges et noirs), panais, salsifis, épinards, laitue, endive, ciboulette et ail. Voyez-vous ce qui manque à l’appel? Les patates et les tomates, qui ne feront leur entrée en scène qu’au 19e siècle!
Du côté des fruits, Desloges ne note « aucune mention de la consommation régulière de petits fruits des champs » dans les sources recensées. Pourtant, la littérature fictive ne manque pas d’exemples. Les Anciens canadiens, par exemple, dont l’action se déroule au temps de la Conquête, a une longue scène où l’héroïne cueille des bleuets. Mais le livre a été publié en 1863. Peut-être s’agissait-il d’un anachronisme?
En bref, on semble manger peu de fruits à cette époque. Il faut quand même mentionner les pommes et les baies durant l’été, de même que les prunes, gadelles, groseilles, poires et melons (comme le melon de Montréal qui poussait très bien dans les potagers), lorsqu’ils sont en saison.
Les aliments de luxe
On aura peu de misère à deviner les aliments qui sont difficiles à se procurer : les vins, eaux-de-vie et épices trônent en tête de liste, pour le meilleur ou pour le pire. Le rhum est importé des Antilles, mais il est rare et cher, tout comme le vin.
Les assaisonnements de l’époque se résument à du sel (en très petites quantités), à quelques fines herbes qui poussent dans les potagers et à quelques épices importées comme le poivre, le clou de girofle, la cannelle et la muscade.
Malgré le fait que les vaches soient communes dans le paysage de l’époque, on ne fait presque pas de fromage. Ce dernier est lui aussi surtout importé. L’exception est le fromage de l’île d’Orléans, d’ailleurs encore disponible de nos jours. Le beurre est lui aussi plutôt rare, puisque les ménages n’ont pas de barates encore à cette époque.
Finalement, il faut attendre les années 1780 avant que le thé et le café ne commencent à entrer dans les mœurs.
Des recettes pour voyager dans le temps
L’ouvrage se termine sur une série de recettes classées par table : celles du voyageur, du paysan, des religieuses, du gouverneur français, des marchands et finalement celle de l’administrateur anglais. À vous de choisir chez qui vous désirez vous inviter!