Ça ne fait pas très longtemps que j’ai entendu parler du survivalisme. Il ne s’agit pas d’un mouvement organisé ni d’un titre officiel, même si certains s’en réclament peut-être. Un peu partout, des gens se préparent au pire. Les séminaires sur le survivalisme abondent d’ailleurs dans plusieurs régions du monde, même ici au Québec.
En effet, catastrophes naturelles, conflits civils et parfois aussi scénarios post-apocalyptiques nourrissent l’imaginaire de fin du monde en ce début de 21e siècle. Dans cet article, je vous décris mon voyage chez un couple qui pratique une forme modérée de survivalisme, afin de voir comment ce discours se traduit dans la réalité.
Dans bien des cas, celles et ceux qu’on appelle « survivalistes » ne sont pas que cela; ils vivent leur vie et pratiquent leur métier comme la majorité des gens. Seulement ils anticipent un futur inquiétant et s’y préparent. Le survivalisme est selon moi constitué de deux aspects fondamentaux : d’abord un discours, puis des actions concrètes. Discours parce qu’il est construit sur un récit, celui d’une fin imminente de la civilisation telle qu’elle se déploie aujourd’hui, basé sur des croyances diverses. Actions parce qu’il doit s’accompagner de mesures permettant à ses adhérents de survivre dans le cas d’une éventuelle apocalypse.
Deux fois déjà j’ai eu la chance d’aller en Arizona. Le mari de ma sœur est président d’une association d’acupuncture et se rend quelques mois par année chez son professeur Vince. Parfois, Josianne l’accompagne et alors je vais les visiter. C’est là que j’ai pu découvrir, quelque part au Nouveau-Mexique, la maison de Vince et Kim et constater comment le survivalisme se traduit dans la vie quotidienne de ces gens.
Balade jusqu’au milieu du désert
Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’Arizona et qu’on s’enfonce dans le désert, la végétation se met à changer. Ce sont d’abord les cactus saguaros, silhouettes allongées et décorées de bras qui peuvent atteindre une quinzaine de mètres de haut, qui disparaissent. Puis c’est au tour des cactus prickly pears de se faire plus rares. À mesure qu’ils s’effacent, ils sont remplacés par un beau foin vert jaune qui pousse à perte de vue.
Nous longeons une chaîne de montagnes. Pour l’instant, la route est bordée de mesquites et de Palo Verde. Le paysage se compose de villages du Far West et de plateaux de terre rosés. S’agit-il de formations naturelles ou de quelconques vestiges d’anciennes mines? Les montagnes au loin me rappellent la scène de Mad Max, où Furiosa, incarnée par Charlize Theron, fonce vers l’horizon rouge dans l’espoir d’échapper à ses poursuivants.
Maintenant, tout est buisson. Derrière nous, un magnifique coucher de soleil colore le ciel, mais je dois me tordre le cou pour le voir. Nous filons vers l’Est. La poussière donne l’illusion qu’une brume flotte à l’horizon. Un panneau nous indique que nous sommes dans le comté Cochise alors que la noirceur tombe.
Le désert à perte de vue
Encore une heure et demie à rouler dans le noir. Je devine le désert, mais je ne le vois pas. Enfin, nous quittons l’autoroute pour emprunter des chemins de terre battue cahoteux. De temps en temps, un jack rabbit ou un lapin du désert se jette devant la voiture, zigzaguant, pris de panique. Un lapin tente de sauter hors de la route, mais il rebondit violemment sur un buisson fait d’épines géantes et retombe devant nous. Il se remet à courir. « It’s embarrassing », remarque FC au volant de la voiture. Le lapin trouve finalement une ouverture entre les plantes épineuses et s’y faufile, hors de notre vue.
FC guide la voiture à travers les chemins et les Y qui séparent la route en deux, encore et encore. On pourrait facilement s’y perdre tellement il fait noir. D’ailleurs c’est déjà arrivé à Josianne et Ethan. Ils ont mis une heure et demie à se retrouver dans cet étrange labyrinthe un peu hostile. Nous arrivons tard, accueillis par une meute de bouviers australiens (Australian heelers). Après avoir débarqué nos valises, nous allons dormir. La nuit est fraîche dans le désert. La température varie facilement de 30 degrés me dit-on. Cette nuit-là, je dors dans la maison principale, emmitouflée dans de grosses couvertures.
Je me réveille dans un paysage étonnant. L’isolement est frappant. Les levers de soleil sont, on le devine, grandioses. Bienvenus chez Vince et Kim. Vince est maître d’une école de médecine traditionnelle chinoise et d’arts martiaux située dans un autre État. Il s’y rend régulièrement et s’y est bâtit une communauté d’élèves qui viennent de partout à travers les États-Unis et le Canada pour y suivre ses enseignements. Kim y va aussi à l’occasion. Elle s’occupe surtout de leur demeure dans le désert.
Maisons recyclées
La maison principale est construite à partir de trois containers. Kim m’explique qu’un étudiant de Vince s’est lancé dans la construction de maisons recyclées et qu’ils avaient ainsi pu faire une excellente affaire. Les containers, les fenêtres, les portes : tout a été recyclé. Le poêle et les meubles leur ont été donnés ou ont été achetés à bas prix sur Craiglist.
C’est ainsi que les choses se passent dans le monde de Vince et Kim : ils ne font pas que s’opposer en paroles à la surconsommation : leurs actions le prouvent tous les jours. Anticapitalistes dans l’âme et dans les faits, ils mènent une vie à la fois simple et fascinante.
Sur le terrain se trouve quelques autres bâtiments. D’abord, deux autres maisons construites par Vince et ses élèves il y a quelques années. Faites elles aussi avec des matériaux recyclés, incluant une soucoupe parabolique en guide toit pour l’un d’elles, ces maisons servent maintenant surtout à accueillir les visiteurs. Ce sont aussi des espèces de musées, mêlant les cultures américaine, chinoise et apache. On retrouve partout autour du terrain des traces de ce peuple autochtone qui habitaient autrefois les montagnes, comme des pointes de flèche et des céramiques.
À l’extérieur, un poulailler et une serre ont été aménagées, de même qu’un enclos pour les chèvres et un verger. Ces installations leur permettent de produire une petite partie de leur nourriture. Des voyages réguliers à l’épicerie, située à 1h de route, s’imposent quand même. Les visiteurs apportent toujours avec eux des victuailles à laisser aux hôtes.
Catastrophes anticipées et autosuffisance nécessaire
Ici, on expérimente. Ainsi, la serre n’est pas vraiment opérationnelle. D’abord, il y fait trop chaud et ensuite, Vince et Kim ne désirent pas rendre l’endroit trop attirant ni trop difficile à entretenir. En plus de faire des réserves, ils savent par exemple faire de la farine avec les fruits des mesquites qui poussent dans ce coin de pays. Ils ont aussi d’autres projets en cours d’être réalisés, comme par exemple un étang artificiel qui servira à la pisciculture.
L’électricité qui alimente la maison provient de panneaux solaires. Cette année encore, ils en ont encore rajoutés quelques-uns. Cela leur fournit toute l’énergie dont ils ont besoin pour pour l’eau chaude, la lumière et quelques appareils ménagers, dont une laveuse. Ils cuisinent au gaz et se chauffent au bois. Cela peut être défi, dans un paysage sans forêt. Mais ici, au pied des montagnes qui séparent les États-Unis et le Mexique, poussent des arbres rabougris et tordus qui fournissent un bois assez dense.
L’eau leur vient d’un puits. Je demande à Kim : « Qu’arrive-t-il si la pompe vient à lâcher? » « Nous en avons une autre et nous réparerons la première. » Je continue : « Qu’arrive-t-il si le courant vient à manquer? » Bien sûr, il ne manque pas de soleil dans le désert. Malgré cela, ils sont quand même équipés de plusieurs génératrices, juste au cas où.
La cigale et la fourmi
Avec toutes ces ressources, Vince et Kim sont effectivement prêts pour une éventuelle catastrophe. Ainsi, ils peuvent vivre plusieurs années en autosuffisance. Sous terre, deux containers relient les anciennes maisons. L’un est pour la nourriture, l’autre pour les armes. Il faut noter qu’en tant de professeur d’arts martiaux traditionnels, Vince possède plusieurs armes blanches de collection, en plus d’arcs et d’armes à feu.
Vince me dit que je suis la bienvenue à laisser de la nourriture dans le container et à les rejoindre quand tout éclatera. Il m’explique qu’un leader peut montrer la voie à suivre, mais ensuite chacun doit se préparer et mettre la main à la pâte. C’est l’histoire de la cigale et la fourmi : prépare-toi et je t’aiderai, mais si tu ne participes pas, ne compte pas sur moi.
Il faut comprendre cela pour survivre, me dit-il. Ce sera un « life boat situation » : on ne peut pas embarquer tout le monde sur le radeau. De plus, la technologie ne pourra pas tout régler; « Giant strawberries won’t save us », ajoute-t-il. Je lui demande ce qui pourrait nous sauver. « L’apocalypse », me répond-il en riant, avant d’ajouter que c’est la façon dont chacun sera préparé à répondre à la crise qui fera la différence.
Scénarios probables ou imagination post-apocalyptique?
En écocritique, mon domaine d’études à l’université, je m’intéresse depuis plusieurs années à l’imaginaire de la fin qui, s’il a peut-être toujours existé, est très présent dans le discours social actuel. Ce phénomène est certainement relié en partie à la crise environnementale, mais peut-être aussi à ce qu’Amin Maalouf appelle le dérèglement du monde dans son excellent essai publié en 2006. Plusieurs universitaires s’intéressent d’ailleurs aux fiction post-apocalyptiques de plus en plus nombreuses sur les ondes, incluant les films et séries de zombies, comme The Walking Dead jusqu’au dernier film de Robin Aubert, le premier vrai film de zombies québécois, Les Affamés, que Netflix vient d’ailleurs d’acheter.
Le survivalisme est lui aussi lié à un tel imaginaire; il s’agit, en somme, de se préparer à une fin imminente, celle de la civilisation telle que nous la connaissons. Si pour plusieurs cette idée peut sembler extrême, il convient de noter que présentement, dans plusieurs pays, des gens vivent dans de telles conditions à cause de guerres civiles.
C’est notamment le cas d’un instructeur de survivalisme, Selco, basé en Croatie. Cet homme a survécu un an dans une ville assiégée lors de la guerre d’ex-Yougoslavie en 1990. Pour survivre, il a dû appliquer des stratégies qu’il enseigne maintenant dans son école, SHTF. Si le contenu est parfois violent et très pro-arme, il convient aussi d’en retenir que les survivalistes ne sont pas nécessairement des fans de fictions post-apocalyptiques. Des situations de survie existent déjà à travers le monde et, pour eux, aucune civilisation n’est à l’abri d’un conflit de cet ordre, surtout à notre époque, alors que les distances entre pays sont abolies.
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Ce qui m’a le plus impressionnée de ma visite dans cet endroit, c’est la débrouillardise et l’ingéniosité dont font preuve les gens qui vivent dans des environnements aussi extrêmes, mais aussi leur vision de l’avenir. Je dois l’avouer, la violence qui se dégage parfois de ses discours, notamment à propos du besoin de se défendre, m’a prise par surprise et parfois mise mal à l’aise. Ça change du discours des écovillages et des fermes autosuffisantes…
Tout de même, je suis fascinée par les différentes réponses à cet imaginaire de la fin, réponse qui se traduit ici en actions concrètes : besoins énergétiques, provisions, etc. Chose certaine, je ne manquerai pas une occasion d’y retourner et d’en apprendre un peu plus sur le sujet.
[…] un sujet qui me fascine depuis longtemps et dont je vous ai d’ailleurs parlé quelques fois (ici, ici et ici, entre […]
Bonjour Marieve, merci beaucoup pour cet article super intéressant sur le survivalisme !
Je cherchais sur Taïwan et cet article est apparu…
Grâce à toi j’ai découvert la shtf school, ton lien est bien caché ah ah merci c’est exactement le genre de formation que je cherchais
“Chose certaine, je ne manquerai pas une occasion d’y retourner et d’en apprendre un peu plus sur le sujet” => où peut on trouver la suite ?
Bonjour Michael! Bien contente que l’article t’ait plu! J’y retourne justement très bientôt!! Merci pour le rappel; je pourrai écrire la suite!