La procrastination, c’est le démon de la plupart des étudiants aux cycles supérieurs. Le processus est simple : on commence (ou on ne fait que penser) à travailler sur sa thèse, mais, tout d’un coup, quelque chose nous semble beaucoup plus urgent à faire (même si ça ne l’est pas du tout). Les grands classiques sont les réseaux sociaux ou le ménage de son appartement. Les possibilités sont infinies.

À l’université, un cours de première année du bac est de niveau 100 ou 200. À la maîtrise ils sont de niveau 500 ou 600 puis, au doctorat, ils sont cotés 700. Pour ma part, je suis une procrastineuse de niveau 700. Mes activités de procrastination incluent faire du ménage, bloguer, entreprendre des projets (beaucoup de projets) et j’adore aussi me commander des livres, incluant des ouvrages sur la procrastination (vous voyez l’ironie?)!

Éviter ce qui fait mal  

En fait, la procrastination est surtout d’un processus d’évitement. C’est un phénomène complexe qui prend racine dans nos peurs, nos souvenirs, nos doutes, notre résistance (ou non) à la pression, etc. Même lorsqu’on en prend conscience, sans outils, il est bien difficile de simplement « arrêter ».

Comme l’écrivent Jane Burka et Lenora Huen dans Procrastination. Why You Do It, What to Do about It Now, sous cette désorganisation (et ces retards) se cache un désir d’éviter une situation malaisante. Pire, pour la plupart des procrastinateurs, un sentiment d’être inacceptable ou inadéquat est à la base de cette mauvaise habitude, qui a la vie encore plus dure qu’une tale de pissenlits bien enracinés.

On peut juger tant qu’on voudra les gens qui le font, de manière occasionnelle ou professionnelle (comme moi jusqu’à tout récemment), mais procrastiner n’est pas une partie de plaisir. Ça peut même causer beaucoup de souffrance, notamment en faisant grandir, tranquillement mais sûrement, une anxiété qui peut devenir, à son tour, dévorante, voire débilitante.

En relisant les textes que j’avais commencé à écrire quand je pensais à faire une chronique Ph.D., j’ai retrouvé celui-ci, commencé mais jamais fini, intitulé « Du pain et une thèse ». Il décrit bien, en live, un épisode de procrastination intense et, je dois dire, plutôt original, que j’ai pris la peine de noter (sûrement pour procrastiner encore un peu plus cette journée-là).

Du pain et une thèse

« La vérité, c’est que je devrais être en train de travailler sur ma thèse. Mais quand ça me cause beaucoup d’anxiété, j’ai le don de trouver d’autres choses à faire. Des choses très importantes. Du ménage, c’est trop facile. Mon appart est tout propre de toute façon. J’ai besoin d’être plus créative que ça.

Ce matin, j’ai décidé que je commençais à faire mon propre pain. Inspirée par Marie-Ève et François, j’ai sorti la recette toute simple de Ricardo (4 tasses de farine, 405ml d’eau, 1 c.t. de sel, 1 c.s. de sucre et un paquet de levure) et je me suis lancée dans la boulange, en espérant calmer mon anxiété qui se réveille à la seule évocation du mot « thèse ».

Je n’ai pas mis assez de farine sur le comptoir. Je me suis ramassée avec des mitaines de pâte. Je n’étais plus capable de rien faire. Je devais porter au moins deux tranches de pain par main. J’aurais aimé vous prendre une photo, mais vous comprenez bien que c’était impossible. Au moins j’ai le pain avant et après son passage au fourneau.

J’ai finalement réussi à m’en débarrasser, de peine et de misère, en salopant toute la cuisine. J’ai replié le « pain » dans une boule que j’ai enfournée au chaud pour que ça lève. J’ai environ 45 minutes avant la prochaine étape. Je vais essayer de mettre de l’ordre dans mes affaires de thèse et je vous reviens. »

Je ne me rappelle plus la suite, mais le pain était délicieux et je n’ai sûrement pas écrit cette journée-là.

Désamorcer la bête

Aaaahhh les années qu’on peut perdre en procrastinant… Je suis au doctorat depuis 2010. J’en ai fait, de la procrastination. Heureusement, dans les derniers mois, j’ai repris le dessus, grâce à des outils qui fonctionnent et dont je vous parlerai dans une prochaine chronique. (Je tiens à dire que j’écris cette chronique un samedi, donc en-dehors de mes heures d’écriture de thèse!)

Une amie m’a beaucoup aidée (merci Estelle!) à me remettre sur les rails. À la fin de l’été 2019, nous nous sommes assises ensemble et nous avons fait un plan avec des objectifs clairs pour que je termine ma thèse. Nous avons nommé mon année scolaire 2019-2020 « l’année des sacrifices ». Je rentrerai peut-être plus en détails dans cette histoire dans une autre chronique, mais en gros, il fallait que j’entreprenne moins de projets pour concentrer mon enthousiasme sur ma thèse.

Même après ces sessions de planification, tout n’a pas été facile. En septembre et en octobre, j’ai écrit… 0 page. C’est en novembre que ça a décollé. Une rencontre avec ma directrice a été marquante.

L’histoire de Jordan

Elle m’a parlé du livre de Naomi Fontaine, Shuni, dans lequel une Inuit écrit une lettre à une amie du Sud. Elle lui raconte l’histoire de Jordan. Dans un village inuit, tous étaient habitués de voir Jordan boire et mendier près du dépanneur. Un jour, Jordan a fait une détox. Tout le village l’a encouragé, inspiré par ses progrès. Il s’est mis à travailler. Il ne buvait plus. Puis, un jour, Jordan était de nouveau à boire et mendier près du dépanneur. Voici la fin :

Bien sûr, cette rechute a affecté les gens de Uashat. Mais pas totalement. Au fond, on se dit que s’il a réussit une fois, il le refera. Quand il sera prêt. La vie est un cercle. – Naomi Fontaine, Shuni, p. 67.

Cette histoire, elle me l’a racontée alors que j’allais lui dire que je reprenais l’écriture de ma thèse. J’avoue que j’étais embarrassée. Ça doit bien faire 10 fois, sinon 25, que je vais la voir pour lui dire que je reprends l’écriture. À la fin de notre rencontre, juste avant de sortir, je l’ai remerciée de ne pas avoir ri quand je lui ai annoncé mes plans. Pas que j’aurais été fâchée si elle l’avait fait; j’aurais compris. Mais qu’elle me prenne (encore) au sérieux a été un baume. Et c’est là qu’elle m’a parlé du livre de Naomi Fontaine. La vie est faite de cycles. Tout d’un coup, j’avais moins honte. Bref, soyez bon envers vous-même. Et remettez-vous au travail dès que possible!

Depuis, j’ai écrit environ 75 pages et nous ne sommes même pas à la mi-janvier. J’avoue que je suis très fière! Cette semaine, j’enverrai deux chapitres à mes directrices. Les efforts commencent clairement à payer.

Des leçons qui commencent à rentrer

Je pense que j’ai enfin trouvé des solutions durables. C’est la première fois que j’ai cette impression. Ça soulage! Outre la précieuse assistance de mon amie, des lectures fascinantes et motivantes, des séances de planification, des rencontres avec des gens qui m’encouragent et des sacrifices – je ne vais plus à la cabane à sucre toutes les semaines, par exemple – ont aussi contribué à m’aider.

La semaine prochaine, je vous parle de quatre ouvrages qui pourront, je l’espère, vous inspirer et vous donner des outils. En autant que vous les lisiez le soir ou du moins pas pendant que vous devriez être en train d’écrire votre thèse!

À bientôt,

Mariève
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